J’aurais pu

Je n’ai pas d’inspi. Nada. Peau de balle. Le vide. Le rien.

Il m’arrive parfois – souvent – de choisir mes sujets la veille pour le lendemain (le lendemain pour le lendemain aussi), mais je finis la plupart du temps par trouver deux ou trois idées, puis j’écris.

Mais aujourd’hui, je n’ai pas d’inspi. 

Je suis là, et je dois accoucher comme chaque semaine d’un texte sur quelque chose. Quelque chose de drôle, de pas drôle, de sincère, de juge, de révolté, de révoltant. Ce que je veux, mais quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? 
Je suis là, précisément. 

J’ai ouvert mon cahier, puis mon ordi, j’ai bu trois tasses de café, j’ai pris ma douche, j’ai allumé une bougie qui sent bon, j’ai sorti Claude. Dispo pour gratter, dispo pour faire ce que j’aime faire passionnément (après les déjeuners chez Ikea) ; écrire.

Mais que dalle.
Parce que je n’ai pas d’inspi.

Mes nuits agitées par la lune (celle du ciel), l’emprisonnement sur plusieurs mois et l’agonie des interactions sociales, le poids des émotions, la fatigue générale, celle des autres devenue mienne… J’essaie de trouver une raison pour me rassurer et me dire que tout ça c’est la faute à un truc. Voltaire ?

J’ai bien pensé à demander de l’aide autour de moi. Mes ami.e.s ayant ça en commun de croire en Maag depuis le J-0. J’ai reçu pas mal de suggestions, je n’en ai retenu aucune, je n’ai pas d’inspi, je vous l’ai dit ?

Je garde quand même au chaud celles-ci. Sait-on jamais. 
30 français sur 100 font caca dans leur douche.*
Top 10 des influenceuses qui devraient fermer leur gueule.

*(Oui, de facto, ça veut dire que vous en connaissez forcément un, minimum).
*(Je ne juge pas hein (évidemment que si) mais je veux absolument comprendre sur quels critères de confort repose l’expérience)

J’aurais pu vous balancer une photo de chat mignon en vous disant que je fais sauter le rencard et qu’on se retrouve la semaine pro. Mais j’ai tenu à être là parce que je vous suis fidèle, parce que vous me suivez fidèlement (et que je prends mes vacances du 24/12 au 6/01 donc bon, tranquille).  

J’aurais pu vous parler des femmes que j’aurais aimé être.
Médecin, danseuse étoile, patineuse artistique, sage-femme, garde du corps, fleuriste, professeure de littérature, avocate, chercheuse. Mais je crois que j’aime bien celle que je suis, pour l’instant.

J’aurais pu vous parler de mon enfance. Des heures passées à jouer, à raser la tête des poupées, à s’inventer des mondes, à manger des bonbons acides. De mon chien Julot. Des souvenirs que j’ai chez mes grands-parents, quand tout le monde était encore là autour de la table sous les tilleuls, avant que des fantômes n’en remplacent certains. Des journées à sauter dans la piscine avec les cousins sans s’en lasser. Les séparations après les vacances chez papy et mamy sans s’enlacer. Parce que les enfants ne comprennent pas tellement l’importance des je t’aime, pas plus qu’ils ne voient celle du temps qui passe.

De mon adolescence aussi. Et de cette personne détestable et moche que j’ai été pendant deux ans (trois ?). De ma quête identitaire, les Nike TN et le bombers Tacchini pour la street cred, les ongles en gel pour faire bander les mecs à booster. 

De mes peurs. Celle de l’avion quand ça bouge trop, des rues le soir, des méchants, de puer, des araignées, des clowns, des méduses, des ongles sales, des requins, du vide, de perdre les gens que j’aime – mes cheveux – mes dents – le sens de l’humour, de me perdre aussi parfois.

De mes tocs. Quand je suis capable de retourner dans mon appart alors que je suis déjà dans le métro juste pour vérifier que j’ai bien soufflé sur ma bougie et fermé la fenêtre. Alors que je l’ai fait, je le sais. 

J’aurais pu vous parler de mon accouchement. J’ai plusieurs fois ici évoqué mon rôle de mère, jamais vraiment le tunnel de vingt-quatre heures qui m’y a conduite. De ce que ça représente de bonheur et de souffrance, de bouleversements et de peurs, de forces et de faiblesses. De la personne que tu es quand tu tombes enceinte, de celle que tu deviens quand tu sens pour la première fois son souffle sur ta poitrine. (Et sa petite bouche tueuse qui dépèce les mamelons). 

J’aurais pu vous dire que les vannes d’Olivier de Benoist c’est de la merde. Ah j’ai dit ça déjà ?

J’aurais pu vous parler de mon déni quand le médecin m’a dit il y a deux ans « vous faites une dépression Laura ». Ta gueule. Pas du tout, je vais bien. Je mentais. Je ne souris peut-être pas beaucoup mais je suis une heureuse, je suis une vivante, j’ai peur de la tristesse, je la fuis, je vois le bon dans tout. Mais parfois, on se fatigue. Parfois c’est trop. Parfois on lâche la rampe.

J’aurais pu vous parler de ce que j’aime. Les expressions de vieilles personnes (ne te mets pas martel en tête, clouer le bec, être dans le coaltar, aller boire un pot, jeter le bébé avec l’eau du bain, brûler la chandelle par les deux bouts). Les crêpes. Les chiens. L’océan. L’amour. Les mots, les jolis et les gros. Romy. L’amitié. La liberté. Ma liberté. Vous. Le soleil. Les siestes. La pluie. Les rires. La truffe.

J’aurais pu vous donner des infos sur moi, des trucs que vous ne savez pas déjà. J’ai été mannequin pieds. Je suis née 5 minutes avant le 29 mars. Je suis loyale. Je suis radicale. J’ai 16 tatouages. J’ai loupé mon permis une fois. J’ai eu une méningite à 24 ans. Je suis hyperacousique. Je chante assez mal. Je danse assez bien. Isaaz c’est suisse. J’ai des origines suisses donc, slovaques et basques espagnoles. À 7 ans je voulais devenir médecin légiste (après deux séances chez la pédopsy et quelques dessins, tout était réglé, je voulais être caissière ou sirène comme les copines). 

J’aurais pu vous faire part de mon envie de faire la fête, la vraie. De me mettre à l’envers dans un bel endroit, de danser, de boire, de rire, de toucher des gens, pas tous, d’être ivre, d’être lourde, d’être légère, d’avoir la gueule de bois, de parler vrai, de chanter faux, de faire l’amour. 

J’aurais pu vous parler de toutes les choses que je regrette. Avoir demandé à mes parents de m’inscrire au judo quand j’avais neuf ans juste parce qu’il y avait le garçon dont j’étais amoureuse. Il a changé de niveau au bout d’une semaine. J’ai passé trois mois à me faire victimiser sur un tatami au parfum de Stan Smith restées sous la pluie. Mes parents m’ont retirée du club. Avoir eu l’idée brillante de me raser les bras à dix ans. De m’épiler les sourcils comme une actrice porno des années 80 quand j’en avais 15. De ne pas avoir toujours su dire aux personnes qui m’ont fait du mal qu’elles m’ont fait du mal. De ne pas avoir accepté de partir travailler en Suisse en 2012 et de rester à Paris pour un homme. Cette manie de laisser mes élans passionnés décider pour moi de là où je dois être. Avoir choisi option maths en première littéraire (j’ai eu 4).

J’aurais pu essayer de m’en sortir en vous donnant une impression de plein mais avec du rien, écrire des lignes avec des mots prétextes qui n’ont aucun autre but que de cacher le vide. Un texte comme un miroir aux alouettes. Et tout ça uniquement pour vous dire, qu’aujourd’hui, je n’ai pas d’inspi.

6 commentaires

  1. J’espère que le manque d’inspiration
    se reproduira souvent pour le plus grand bonheur des lecteurs. Très inspiré ce manque d’inspiration. Encore !!!

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