
Elle est conne. Conne d’avoir accepté la première insulte, la première gifle. Conne parce qu’elle reste. Si elle est conne, peut-être même qu’elle l’aura un peu cherché. C’est chiant les connes aussi. En bonne conne, elle acceptera la deuxième, la troisième et les autres gifles, les autres insultes. Si elle n’est pas trop conne elle partira. La conne, elle, y retournera. Et quand la conne n’est pas si conne, on la dit folle.
Gerbant raccourci pour beaucoup d’esprits pauvres d’esprit.
La lutte contre les violences faites aux femmes ne se limite pas au bureau moche du flic qui prend la plainte (si tant est qu’il la prenne), c’est un chantier dont nous sommes tous les petites mains. « Ce ne sont pas nos affaires » diront certain.e.s.
Oh que si, ça l’est.
C’est notre putain d’affaire à tous.
C’est celle des voisins. Ceux qui se font absents derrière leur porte quand les cris fendent les murs. Ceux qui montent le son de la télé parce qu’il étouffe les bruits parasites. Pour peu que ça soit un de ces cartons offert par le cinéma français, une histoire d’amitié entre un aristo tétra et un noir au bon fond. Une ado qui se passionne pour le chant tout en devant gérer ses culs-terreux de parents sourds. Les belles histoires sur écran émeuvent dans les chaumières, les histoires moches qui s’écrivent dans l’appartement d’à côté, on n’en veut point. Ici se situe le curseur empathique de l’humain.
C’est l’affaire de la responsable du périscolaire dans l’école de ma fille qui, alors que Romy avait été violemment frappée par un enfant, décide de la sortir de la pièce de théâtre dans laquelle ils jouaient tous les deux. Romy est violentée, c’est elle que l’on éloigne. C’est elle que l’on pénalise. Parce que c’est « plus simple comme ça ». Parce que la société nous éduque en ce sens, l’homme reste et toi tu disparais.
C’est l’affaire des ami.e.s de l’homme violent. Toutes celles et ceux qui consentent à dire, dans le plus grand des calmes, que « oui, il a un problème avec la violence » (quand ça n’est pas un « problème avec les femmes »). Toutes celles et ceux qui jouent les indignés à grands coups de posts Instagram et de discours engagés quand la veille encore ils offraient de belles accolades à leur ami dit irascible. « Mais c’est pas un méchant, c’est un écorché vif ».
Ah, pardon. Faisons donc fi du fait qu’il rosse sa femme.
C’est pas un méchant.
Et si elle était moins conne aussi.
De ces jugements à deux vitesses naissent les féminicides, au fait.
C’est celles de ceux qui disent « Battue ? Bizarre parce que quand je l’ai vue il y a une semaine elle allait bien, elle a passé sa soirée à rire ». « La connaissant ça m’étonnerait, avec son caractère ». « Lui, violent ? Dur à croire, il a une tête de gentil ».
« Il a une tête de gentil. »
Bienvenue dans un monde parallèle où les méchants ont des têtes de méchants, les victimes des têtes de victimes et les gentils des têtes de gentils. Ainsi perdure la légende selon laquelle l’homme violent ressemble à un homme violent. Nerveux, musclé, teigneux, cassé parce que casseur, beauf aussi-allez-hop. Même sort pour le pédocriminel, puceau chauve de soixante berges qui vit chez sa mère et se branle dans les parcs de jeux sous son imper de pêcheur.
Désolée de venir niquer l’ambiance. J’ai bien conscience que cette vision binaire du danger rend service à ceux qui y croient mais je pense qu’il est de bon ton de rappeler ici que, malheureusement, l’homme violent, tout comme le pédocriminel, est partout.
Il est riche, beau, gentil. Il est pauvre. Il a du talent. Peut-être même qu’il est altruiste. Il a de l’humour, l’air heureux, une vie épanouie. Il est jeune, moins jeune. Grand, petit. Il est intelligent. Il a du succès. Il est con. Il est marié. Il est célibataire. Il a des enfants. Il n’a pas d’enfants. Il est puissant, respecté. Il aide, écoute, console. Il est généreux. Il a des ami.e.s. Il est entouré. Il est engagé. Il ressemble à une belle personne. Ressemble.
C’est l’affaire des ami.e.s de la victime. Parce qu’il faut savoir être à l’écoute même quand la personne se tait. Il faut dire aux femmes que la violence n’est pas seulement une affaire de coups.
C’est l’affaire de ceux qui décident si la personne est bien victime de violences en fonction de la barbarie du spectacle. « Il te frappait au visage ? », « tu saignais ? », peut-on entendre parfois dans des bouches pourtant réputées pour leur bienveillance, leur discernement aussi. Ces interrogations qui participent à la hiérarchisation des violences et qui cristallisent le silence de certaines femmes. Sans bleus ni sang, qui va me croire ?
Nous.
On te croit.
Rabaisser c’est violent, humilier c’est violent, exercer une pression financière c’est violent, contrôler c’est violent, imposer un rapport sexuel c’est violent, insulter c’est violent, interdire c’est violent, obliger c’est violent, avoir une quelconque emprise c’est violent.
Stricto sensu, une violence c’est quand c’est violent. C’est quand ça blesse, quand ça emprisonne, quand ça détruit.
C’est une affaire de passivité complice. C’est l’affaire des immobiles. Des faux aveugles, des sourds occasionnels. Celle de ceux qui savent mais se taisent.
Nous sommes le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Je me suis levée ce matin sans savoir si j’allais réussir à écrire sur ce sujet si délicat. J’ai essayé puis effacé. Vous connaissez un peu ma sensibilité sur le sujet, et pour autant je n’ai jamais vraiment osé mettre des mots dessus. J’avais peur. Peur de dire mal, pas assez, trop. De ne pas dire ce qu’il faut. De dire ce qu’il ne faut pas.
Et puis j’ai pensé que, pour une fois, vous ne m’en voudriez pas de ne pas vider ma bourse à vannes (pas toujours bonnes je sais) sur l’internet pour m’essayer à un discours plus sérieux, en colère, mais sérieux. (J’ai bien failli vous dire que je n’ai rien contre un petit tirage de cheveux bien mené si le contexte s’y prête, mais ça passe moyen ici hein ?)
Je me suis dit aussi que, parmi vous qui me lisez et qui m’écrivez parfois, il y en a peut-être qui souffrent. Des femmes, des jeunes filles, des mères.
Je veux vous dire qu’il n’y a pas de petite violence. Qu’il faut réagir à la première claque, à la première bousculade. Qu’il ne faut rien laisser passer. Genre rien du tout. Jamais.
Je veux vous dire que nous sommes nombreux.ses à vous croire, à vous entendre, à se tenir prêt.e.s pour vous aider.
Parlez-moi, parlez-nous.
Vous n’êtes ni connes, ni seules.
LOVE.
EN CAS D’URGENCE
Appelez la police au 17
Si vous ne pouvez pas parler, envoyez un SMS au 114
Vous pouvez discuter avec la police de manière anonyme, 24h sur 24h sur https://www.service-public.fr/cmi
Il existe deux numéros dédiés pour les femmes victimes :
Le 3919, du lundi au dimanche, 9h-19h
Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95, du lundi au vendredi, 10h-19h
Allez suivre noustoutes.org
Taboues, plus rares, les violences conjugales subies par les hommes existent aussi. Et sa proportion, bien que très inférieure à celle des violences faites aux femmes, est loin d’être dérisoire. Soyons aussi vigilants pour eux.
Merci, je me sens toujours conne mais moins seule ! Et pourtant on me dit jolie, intelligente, pleine de discernement, d’humour, de vie. Je crois tellement à la vie que j’y vois de la magie partout. Dans le regard de ma fille, Romy (oui c’est vrai, encore une Romy:), ce regard dans lequel je n’aurais jamais voulu voir de la peur pour moi. Et pourtant je l’aime, ce con. Il a tout gâché. Je l’ai quitté. J’ai failli me perdre avec lui. J’essaie de me dire que j’ai pas été conne jusqu’au bout. Et surtout qu’il n’est pas si con, parce que loin de moi, il a décidé de se soigner. Une autre en bénéficiera. Merci pour ce texte Laura.
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♥️♥️♥️
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Bravo, c’est très clair et les vannes font réfléchir! 💕
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Quel bel article! Quel beau résumé! Quels beaux témoignages! Ça change un peu des propos lénifiants, consensuels qui intellectualisent à outrance la violence aseptisée de ce triste monde. Moi aussi, en tant que mec, je me sens mon seul! Merci
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Bravo pour ce texte que je découvre avec quelques jours de retard. Tu écris très bien.
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