Je suis nostalgique

C’était l’anniversaire de mon père lundi, 68 ans.

Nous sommes allés tous les cinq, lui, ma sœur, ma fille, ma mère et moi, déjeuner au restaurant pour célébrer cette date toute particulière.

Contaminée par le virus le plus agressif de notre siècle, Instagram, j’ai dégainé l’Iphone pour l’ériger en vedette de story, le père.

Et c’est à travers l’écran, quand je l’ai filmé en train de se régaler avec son petit plat, que j’ai réalisé que 68 ans c’est beaucoup.

Si, c’est beaucoup. Quand même.

Tout est alors allé très vite dans ma tête. Dans deux ans c’est 70, dans 12 c’est 80. 12 c’est l’âge de ma fille + 4 ans. 4 ans c’est le temps écoulé depuis la démission de Baupin, c’est aussi le temps qu’il faut à Olivier De Benoist pour trouver une bonne vanne. Ça va être vite là. Et s’il n’allait pas jusque-là, d’ailleurs. Si la vie me privait de mon père avant que je sois en mesure de l’encaisser, ce qui n’arrivera jamais.
(Il se peut qu’il soit pris d’une belle attaque de panique en lisant ce post, j’ai bien évalué les risques en l’écrivant, je vous tiendrai au courant).

Alors, tout le reste du déjeuner j’étais ailleurs, déconnectée, pensive (aussi parce qu’il m’a dit au début du repas que j’avais les jambes charpentées. Pas très gentil ça hein. Je n’ai pas les jambes char-pen-tées, j’ai les jambes toniques). Bref. J’ai été propulsé dans un cafard de tous les diables à essayer d’imaginer comment serait ma vie quand ils ne seraient plus là, mes parents. Et puis j’ai repris un verre de vin avant d’entendre la voix de ma sœur, loin, sourde, brouillée, me ramenant peu à peu à la réalité de ce déjeuner « ça va Laura ? Tu as l’air nostalgique. »

Oui, possible.

Je suis une personne très ancrée dans le présent et quand je ferme une des portes de ma vie, il arrive assez rarement que je fasse demi-tour, pensant avoir oublié un truc, pour la rouvrir à nouveau. Je ne vis pas dans le passé, attention nuance, je suis nostalgique, parfois.

Je suis nostalgique quand je nous vois tous les quatre à table et que je repense aux dîners de mon enfance. Ces dîners heureux où ce quatuor, troupe de l’amour, solide, semblait ne former qu’un seul et même élément. Quand on se faisait engueuler avec ma sœur parce qu’on parlait plus qu’on ne mangeait, parce qu’on mettait les coudes sur la table, parce qu’on n’avait pas les ongles propres (oui, tout vient de là). Aujourd’hui, les enfants sont des adultes, les vies se dessinent hors du cocon, les dîners se font plus rares, aussi heureux, peut-être même plus heureux parce que plus rare. Mais plus rares.

Je suis nostalgique quand je retombe il y a quelques jours sur mes affaires de jeunesse en faisant le tri pour un vide-grenier. Je me revois, sourcils beaucoup trop épilés et jeans beaucoup trop délavés en train d’écouter du Ben Harper en pensant aux épreuves du bac, je retrouve de vieilles poupées moches mais s’en séparer reviendrait à gommer une tranche de vie, alors on les garde en se disant qu’il y aura bien des enfants dans cette maison pour vouloir jouer avec un jour. On sait, pourtant, qu’il n’y a aucune chance pour que cela arrive. Parce que des enfants il y en aura, mais pour jouer ils se défieront sur Tik Tok, se livrant à des chorégraphies gênantes en chantant du Wejdene. Sachez que cette perspective (qui est relativement actuelle en réalité) place la ligature des trompes en tête de ma to do list. Les poupées continueront, elles, de s’éteindre doucement sous des couches de poussière en emportant nos souvenirs.

Je suis nostalgique des années d’insouciance, de la petite enfance, quand on se moquait bien de savoir ce que les autres pensaient de nous. Quand on mangeait nos crottes de nez (certains adultes le font encore mais ça fera probablement l’objet d’un papier complet plus tard), qu’on pleurait pour ne pas faire la sieste, qu’on jouait six heures avec le même jouet, qu’on disait pestacle, crocrodile et arbustre.

Je suis nostalgique quand je vais rendre visite à ma grand-mère, que je la regarde assise dans son fauteuil électrique à lire le même thriller pour la quatrième fois, attendre son aide-ménagère et nous dire au revoir avec le regard embué.

Je suis nostalgique du corps que j’avais à 20 ans, petite fraicheur qui rentrait dans du 34, n’avait pas encore fait passer un être humain de 4 kg par son vagin et buvait des vodka Redbull 3 soirs par semaine sans penser au lendemain.
HO ÇA VAAAAAA. Je plaisante.

Même si, bon.

Je suis nostalgique quand je caresse le nez de ma fille pour qu’elle s’endorme et que mon esprit s’absente deux minutes de l’enveloppe de mère pour s’abandonner dans les souvenirs du moi petit, l’enfant à qui on caressait aussi le nez, avant.

Je suis nostalgique du temps où la naïveté des croyances, que les psys appellent pensées magiques, arrivait à me convaincre qu’en marchant sur les dalles de carrelage noires mais pas sur les blanches, mes parents vivraient pour toujours.

Je suis nostalgique de l’avant Covid, quand on n’était pas obligé de se poser des questions avant de galocher son voisin de soirée. Quand on pouvait cracher dans les verres juste pour la blague. Quand on pouvait se sucer les doigts après avoir tapé dans le bol de Ben et Nuts.

Je suis nostalgique, déjà, du 13 juillet, quand je suis montée dans le train pour retrouver ma région, ma mère, mon père, ma mer, l’imper, la vanne tombe à l’eau il a fait trop beau cette année. Même ceux qui mettent leur masque sur le front dans le TGV et/ou qui regardent des films sans écouteurs me manquent. Parce que ça n’est pas grave, que rien n’est grave à part ce qui est grave.

Je suis nostalgique, déjà, de mes soirées d’été, à rêver, danser, parler, aimer…

Larousse dit que la nostalgie c’est le mal du pays.
Larusso dit « tu m’oublieras ».

J’aimerais oublier parfois pour ne pas être mélancolique. Mais ce pays, mon pays, là où se bousculent les souvenirs, c’est celui dans lequel j’ai envie d’aller me ressourcer quand le monde devient hostile.
Et en avoir le mal ça veut aussi dire qu’il est si beau que l’on rêve d’y être. Alors je nous souhaite finalement d’avoir le mal du pays quand on arrivera au bout du chemin les gars. Voilà. La bise.

PS : aux personnes malveillantes, aux détracteurs, à ceux qui jugent trop vite, aux âmes toxiques, aux livreurs La Redoute, à Eric Zemmour et aux gens qui voyent et croivent, puisse la photo de ce post vous revenir par flashs pendant votre sommeil.

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