
Parmi les sorties grisantes de ma pause estivale, il y a celles que je fais à l’Intermarché. Snobisme sans bornes d’une parisienne dressée à payer 7€/kg ses tomates sans goût chez Monoprix et qui s’offre une virée dans les allées de supermarchés quand elle descend en province visiter sa famille. J’y prends un plaisir infini, coupable presque. Quand je peux mettre le jeton dans le caddie et m’arrêter à chaque rayon pour voir tout ce qu’il est possible de s’offrir dans un monde où le loyer ne coûte pas le prix d’une abdominoplastie.
Bref.
J’étais à l’Intermarché et, entre deux achats inutiles parmi les achats inutiles (de la nappe cirée au kit de jardinage en passant par les rouleaux de PQ format familial), j’ai vu : un coussin de plage. Mieux, un coussin de plage imprimé léopard. À cet instant mon cœur a fait crac.
« Non Laura, tu ne peux pas être cette personne qui pense au confort à la plage, tu dois être sexy (injonction de moi à moi), tu dois avoir du sable dans les cheveux, un bouquin dans les mains et ton corps loin de tout objet pouvant porter atteinte à ta dignité. »
Quand pourtant la vérité est ailleurs, et que je rêve en secret d’avoir le même attirail que ces familles qui mettent plus de temps à sortir le matos qu’à en profiter. Mais les trucs confortables à la plage, fauteuil pliant, tente coupe-vent ou matelas à mémoire de forme c’est comme les pantoufles, les bretelles ou les collants en laine sous le jean en hiver, c’est pratique mais ça dynamite en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire tous les efforts fournis ailleurs pour avoir l’air un peu wild.
Ce même wild qui perd de son crédit à la seconde où ma fille me lâche un « maman j’ai envie de faire caca » une fois qu’on est installées ou quand je me prends un bon rouleau pleine face et que je ressors, sonnée, avec le ventre griffé par les fonds, une couille de sable dans mon bas de maillot et mon triangle qui a décidé de s’inviter sur les omoplates, offrant aux spectateurs attentifs, s’il y en a, le topless le plus accidentel (et gênant) de l’histoire.
Les sudistes de la méditerranée ne verront de toute évidence pas de quoi je veux parler.
Mais pour autant, la méditerranée, je vous la laisse. J’ai nagé dans l’eau en Indonésie, en Californie, en Floride, au Mexique… mais nul autre endroit au monde ne me fait l’effet des plages basques.
(J’anticipe la question car elle m’est souvent posée et j’y réponds : non je ne surfe pas. Je n’ai de la surfeuse que les Vans et les mèches blondes. Il y a quantité de choses assez bluffantes que je sais faire avec mon corps, mais tenir debout sur une planche en équilibre dans l’eau (j’ai évidemment essayé) j’avoue que ça ne donne rien de très intéressant.)
J’aime les plages en hors saison, perdues, vastes, où le soleil est las et l’eau plus vive, mais je crois aussi que j’aime terriblement le folklore des journées d’août. Quand tout est réuni pour que l’expérience soit à son paroxysme. Quand tout ce que je hais finit parfois par me manquer. Les gens qui jouent aux raquettes avec deux bras visiblement sans coudes et qui t’envoient la balle dans la tête toutes les deux minutes, ceux qui écoutent de la musique, ceux qui lâchent leur chien (même chien qui vient te renifler le cul quand tu bronzes sur le ventre et te recouvre d’un kilo de sable dans son fol élan), les vives qui sont petites comme des têtards mais te défoncent comme des lames de rasoir (poussant l’humiliation jusqu’à forcer tes camarades de baignade à te faire une golden shower dans le plus grand des calmes), les enfants qui courent à côté de ta serviette, les gens rouges, les surfeurs débutants qui te plantent leur planche dans le front à la moindre houle, les nudistes qui viennent sur les plages de non nudistes. Faut pas faire ça, c’est pénible. Je n’ai rien contre les pénis, mais je préfère pouvoir choisir ceux que je regarde. Les vendeurs de beignets qui sentent l’huile de l’été d’avant (les beignets pas les vendeurs), celui qui te vend des colliers en toc et des lunettes certifiées cancer de la cornée. J’aime l’odeur de la crème solaire, les grains de sable que l’on retrouve dans le lit, quelques jouets oubliés, les rires des enfants, celui de ma fille, passionnément, les sculptures dans le sable dont on ignore souvent l’identité de l’artiste mais qui brassent, à mesure que la journée avance, des dizaines de spectateurs en tongs et en bob. J’aime avoir la peau salée, les cheveux secs et le front qui tire à cause des UV. Parce que ce sont toutes ces choses qui nous suivent depuis l’enfance (pour ceux qui ont la chance de connaitre ça) et qui, parce qu’elles ont bercé nos plus douces années, gomment en un claquement de doigts toutes les amertumes que nous pouvons accumuler.
Un ami me dit l’autre jour « Laura, à quel âge perd-on cette innocence ? Celle qui nous donne le pouvoir de faire des pâtés de sable, à poil, toute la journée en faisant des bruits bizarres (onomatopées infantiles très bien réalisées d’ailleurs) ? », j’ai d’abord voulu répondre un truc comme « bah surement à l’âge où tout le monde commence à se juger, parce que les gens entre eux sont de vraies putes, globalement » et puis je me suis contentée de balancer un message plus positif bien que relativement risqué pour son évolution en société « tu peux encore le faire si tu veux ».
Parce que, quand on y pense, si on pouvait parfois retrouver cette liberté d’enfant, ne ferions-nous pas de meilleurs adultes ?