George,

« I can’t breathe ». 

Ce sont vos derniers mots. Un cri péniblement libéré que vous pensiez être suffisant pour que le policier en train de vous écraser de son genou réalise qu’il vous faisait mal et que vous risquiez d’en mourir. Vous ignoriez encore que cet homme froid et violent avait déjà clairement fait le choix de vous tuer, un sourire dissimulé sur le visage, les mains dans les poches et sa rotule comme une lame dans votre gorge. 

On parle de Derek Chauvin (oui, chauvin), cet officier de police de Minneapolis qui vous a maintenu à terre jusqu’à ce que mort s’en suive. Mais il n’était pas seul et autour de lui trois collègues ont assisté à votre assassinat sans bouger. Sont-ils moins monstrueux que Derek Chauvin ? Sont-ils moins condamnables parce que ça n’était pas leurs corps sur le vôtre pendant que vous agonisiez ? Non. La justice les jugera pour complicité car le système estime que trois hommes spectateurs d’un crime alors qu’ils auraient pu l’empêcher restent meilleurs sur l’échelle du mal que leur acolyte tueur. 

La scène a été filmée et vue par le monde entier. Il m’a été impossible de regarder la vidéo, mais je me suis retrouvée prise dans une marée de photos. On vous voit souffrir, terrorisé, implorant l’homme qui vous écrase de son poids et de son pouvoir de vous rendre votre oxygène et ce qu’il vous reste à vivre. On le voit déterminé, insensible et sourd. On le voit attendre que la vie quitte votre corps pendant huit minutes qui semblent être une éternité. Preuve ultime, s’il en fallait une, que la violence policière n’est pas qu’une affaire de film à César. Qu’elle est réelle, qu’elle est partout.

Certains diront que vous étiez un délinquant, un drogué et que c’est trop facile aujourd’hui de vous élever au rang de symbole de la lutte contre le racisme car non, vous n’êtes pas une victime, vous êtes avant tout un criminel. Je l’ai lu, je l’ai entendu. Nous en sommes là. 

Éric Zemmour, que je prends un plaisir non coupable à insulter dès que mes écrits le permettent, n’est visiblement pas las d’apporter de l’eau à mon moulin. Non satisfait de compter un noir de moins sur la surface de la terre, il aura fallu que ce monstre médiatique s’empare du sujet pour venir dégueuler sa haine sur un plateau télé. Haine qu’il justifie par des couches de suffisance et d’intellect vérolé, nous réduisant tous au statut d’imbéciles humanistes. Et continuant dans le plus grand des calmes à polluer de ses idées meurtrières les chaines que nos enfants regardent. 

Il scande à votre propos « Il n’est pas le perdreau de l’année. Il avait déjà fait 5 ans de prison pour agression à main armée. Encore auparavant, il en avait déjà fait pour consommation de cocaïne. Ce n’est pas un type qui se balade innocemment dans la rue ». 

Son opinion sur la légitimité de votre assassinat aurait-elle été la même s’il avait été question d’un homme blanc ?

Si l’un de ses trois enfants faisait un délit de fuite après avoir consommé de la cocaïne et finissait par mourir asphyxié sous le corps étouffant d’un flic, trouverait-il normal de mettre en avant les délits commis pour justifier le meurtre ? A t-il au moins pris la peine de se renseigner sur les états de service de Derek Chauvin et de la vingtaine de plaintes déposée à son encontre ? 
Pensez-vous. 

Il y a eu les blagues de merde faites par Canteloup et le remix flingué de Guetta mais dans l’ensemble les voix ont livré quelque chose de beau partout dans le monde pour vous rendre hommage. Pour que cessent le racisme et les violences policières.

Virginie Despentes écrit « Le privilège, c’est avoir le choix de penser, ou pas à sa couleur de peau. Je ne peux pas oublier que je suis une femme, mais je peux oublier que je suis blanche, en France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix ».

D’autres encore, dont le combat semble trouble, s’en prennent à tous ceux qui depuis quelques jours s’insurgent face au racisme et aux violences policières. Votre mort ayant eu ça de bon qu’elle a agi comme un détonateur pour beaucoup d’entre nous. Je parle des politisés anti fascisme qui livrent une guerre sans merci à toutes les injustices raciales et qui trouvent cette lutte soudaine bien trop marketée. 

J’en viens à me demander si ceux qui critiquent les nouveaux révoltés en les accusant d’opportunisme ne sont pas davantage préoccupés par leur statut de militant star que par le cœur du sujet. Je trouve triste d’en voir hiérarchiser l’implication, « je suis plus antiraciste que toi », quand la seule chose à retenir c’est que nous sommes des millions à nous indigner.

C’est vrai sur un point. Il aura fallu cette vidéo et ces images insoutenables pour que moi la première je mesure l’ampleur de la situation. J’aurais pu écrire cette lettre à Adama Traore et à toutes les autres victimes racisées. Mais la blanche privilégiée que je suis et qui vomit le racisme avait besoin d’être un peu secouée. Peut-être est-ce là que nous sommes tous un peu fachos. 

Votre mort, insoutenable et injuste a généré une union qui semble indéfectible et bien partie pour ne s’arrêter que quand les fascistes auront perdu. 

George, nous vous en faisons la promesse. Parce que face à cette haine, celle qui vous a tué, nous sommes nombreux aujourd’hui à pouvoir dire « We can’t breathe »

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