
C’était il y a deux mois et on descendait dans le pays basque pour vivre dans les meilleures conditions ce qui allait devenir, au détour des allocutions de nos chefs, un confinement de huit semaines. Un coup de massue, un choc, un uppercut dans nos petites gueules d’occidentaux. Ces chinois, les crados bouffeurs d’animaux domestiques ont eu ce qu’ils méritaient, nous on est des victimes, obviously. AHAHA. Leul.
Ne venez pas me sauter à la gorge avec vos réprimandes moralisatrices, vous vous êtes tous dit ça. Résultat, de notre snobisme dégoulinant et de notre statut de tout-puissant ont découlé une réactivité tardive et quelques 27000 décès au compteur. Une bagatelle.
J’ai un scoop, le problème ne vient pas de Chine (ou même du pangolin, meskin), il ne vient pas du gouvernement non plus, il vient de nous (mais pas moi, ni vous). L’être humain. Celui qui pense pouvoir tout contrôler, celui qui se croit intouchable, celui qui oublie que de la terre il n’est que l’invité, pas le proprio. Celui qui est con. Et sale aussi.
J’ai rêvé longtemps que cet épisode aurait sans doute le mérite de changer les mentalités, de faire grandir l’humain. Ophélie ou non, j’ai eu la foi (ceux qui savent, savent). Foi en entendant le bruit des mains qui se rencontrent aux fenêtres, en voyant la solidarité naitre un peu partout. Et puis je suis rentrée à Paris.
En seulement quelques heures j’avais retrouvé mes esprits, j’étais revenue à la réalité, celle où les gens ne deviennent pas bons (ni intelligents) en un passage de Covid. Celle où ceux qui se seraient mis des coups de serpette pour continuer à se torcher et faire des lasagnes il y a deux mois n’allaient de toute évidence pas se transformer en Gandhi.
J’ai vu des gens avec des masques, plein. Mais pas assez. Je me suis retrouvée à faire la queue dans des magasins entourée de personnes sans rien sur le nez, pas même une écharpe, un foulard, un Kleenex, un slip. Rien. « C’est pas confortable » m’a-t-on dit.
Ah ben non, en effet, c’est vrai qu’il fait un poil chaud là-dessous et ça ne fait plaisir à personne de devoir sentir sa propre haleine toute la journée et envisager de se faire recoller les oreilles en 2021, MAIS, je ne crois pas trop m’avancer en disant que la réanimation et l’intubation trachéale en termes de confort c’est pas ouf non plus.
Bande d’enculés. Sans demi-mesure. Mais je ne peux pas m’empêcher de me dire que ces deux derniers mois ont été riches en informations, suffisamment en tout cas pour que chaque personne disposant d’internet (ou à minima d’un téléviseur) sache qu’on traverse un truc vraiment chiant. Je n’ai jamais autant pleuré en regardant les infos (sur la situation en France et depuis les attentats).
Avais-je une chaine cryptée dans le pays basque avec un JT sans filtre bien plus trash que celui diffusé à Paris ? Avez-vous, comme moi, vu ces gens dire que ça allait puis mourir quelques heures plus tard ? Avez-vous vu ces familles décimées ? Ces soignants morts pour sauver des vies, ces larmes dans les couloirs des hôpitaux, l’épuisement, la détresse ?
Deux mois et presque 28000 personnes envolées, pfffiout, plus rien, nada, bisous. Et pour toutes ces familles, le déconfinement du 11 mai n’a pas été une fête. Le 11 mai sera à jamais la date à laquelle on aura permis aux gens de continuer leur vie comme avant (ou presque) mais en les sommant de mettre un masque sur le museau et du gel dans les paumes.
On parle du manque d’éducation des classes populaires mais le trou du cul est partout. Je le jure.
J’en ai vu faire les courses avec toute la famille, joyeuse sortie du samedi, sans masques et sans stress. J’en ai vu cracher dans la rue. J’ai senti des gens me coller à la caisse des magasins. J’ai bien conscience de mon pouvoir d’attraction mais il ne faut pas faire ça.
J’ai vu des centaines et des centaines de masques sur les trottoirs. La chiale. J’en jalouserais les morts de ne pas en être témoins.
Si tu n’es pas un minimum concerné par l’écologie aujourd’hui en 2020 c’est que tu as un cerveau de grive mais on ne tue pas les gens parce qu’ils sont cons (dommage pour nous, tant mieux pour toi). Par contre, si tu es capable de jeter ton masque dans la rue en pleine pandémie c’est encore un autre problème. Et j’avoue que je ne suis pas contre la création d’une unité spéciale de flics mandatés pour forcer les gens qui jettent leur masque dans la rue à nettoyer les guidons de Velib avec leur langue.
J’ai vu mais j’ai entendu aussi.
Des gens dire, à la vue d’un joli masque « alors c’est ça la nouvelle mode ? ». La mode c’est de ne pas vouloir être mort en fait, et comme on va tous avoir de l’acné sur les joues et que les rouges à lèvres vont rancir dans les trousses, si on peut au moins trouver des masques pas trop cheum c’est cool.
Des gens râler parce qu’on n’a pas de restos, pas de bars, pas d’école pour tous, pas de vacances à l’étranger, pas de journées à la plage… OUI. Moi aussi j’ai envie de me descendre des verres de rosé en terrasse, moi aussi j’ai envie de planter mon parasol dans le sable, de manger des tapas à San Sebastian, de me remettre à bosser, de jouer au jeu de la bouteille (ah non pardon j’ai 32 ans), de dire à ma fille de huit ans que tout compte fait l’école ça ne sert à rien, moi aussi je pleure quand j’entends le mot dictée et que je vois des mails de la maitresse, mais c’est comme ça. Voilà, que dire.
On pourrait vivre dans un pays en guerre et/ou totalitaire, connaitre la famine, n’avoir aucune liberté, risquer la prison pour une photo Insta, être né dans le corps de Nadine Morano ou d’Eric Zemmour (je sais c’est la deuxième mention déjà pour ce pauvre homme mais il mérite).
Certains vont dire que je ne suis que colère (ou folle, ou en colère et folle) et que tout n’est pas si noir. Vrai. Il y a aussi toutes ces personnes qui ont contribué à me donner le sourire et l’espoir nécessaire pour voir le verre à moitié plein ces dernières semaines. Mais j’avais envie de râler moi aussi, je suis aigrie n’oubliez pas.
Toutes ces personnes que j’ai remercié dans mon papier « On vous aime », toutes celles qui ont fait bouger les choses, qui ont aidé, lutté, fait preuve d’un courage et d’un humanisme sans faille. Par respect pour elles, montrons-nous dignes d’être sauvés.
Love.
Tellement désolée de devoir arriver à ces constats. Ceci dit qui pouvait croire que les abrutis allaient avoir des fulgurances d’intelligence ??? Merci pour vos publications🙏👏🏻
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Je lis l’article un peu tard, mais bravo pour ce texte percutant !
Et le passage qui m’a le plus fait vibrer (mais genre d’angoisse par contre) : le mail de la maîtresse ! Rien que d’y repenser … brrr !
Force et courage à tous, et vive le masque (avec le nez DEDANS bordayl !)
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