
Le 28 mars, je soufflais (j’agitais mes mains gantées) sur les trente-deux bougies que mes camarades de confinement (mes parents) avaient gentiment plantées dans un marbré Savane.
32 ans.
32 ans et l’impression d’être vieille. Pas vieille physiquement, même si je déracine à grands coups de pince à épiler les cheveux blancs qui me poussent sur les tempes (heureusement l’acné est là pour compenser), non, vieille, point. Ce « vieille » que je collais volontiers sur le front des copines de ma mère quand j’étais petite (et même encore maintenant pour celles qui sont en vie). Le « vieille » qui veut juste dire que quoi que tu fasses pour effacer les signes de l’âge, dans ton for intérieur, tu es dépassée, ringarde, flinguée. Tu n’appartiens plus à la génération des jeunes, des vrais jeunes.
Pourtant notre époque, intelligente et engagée, lutte sans relâche pour repousser les frontières de l’âge. Dynamiter cette obsolescence que certains s’entête à nous allouer, ce nombre d’anniversaires qui détermine si tu es belle, sexy, baisable, si tu peux encore travailler, si tu peux encore danser, sortir, être amoureuse.
On a beau essayer de nous le mettre dans la tête comme une ritournelle avec tous les moyens qui sont ceux d’aujourd’hui. On a beau nous vendre que le 40 c’est le nouveau 30. On a beau nous dire qu’avoir un enfant à 42 ans c’est easy. On a beau relayer en masse la vidéo de Jennifer Lopez qui casse le game au SUPERBOWL, faire des couv’ de quinquas qui prennent la pause en body ou mettre du Belluci en tête de cortège pour faire rêver les futures senior de 2050 que nous sommes… La vérité c’est que je me sens quand même déjà un peu vieille. La vérité c’est pas que les vieilles sont de plus en plus jeunes, mais c’est surtout que les jeunes sont vieilles de plus en plus vite.
On nous dit bien que la maturité a la win mais on starifie la chair fraîche.
Et tout ce petit monde semble se porter à merveille.
Quand j’étais plus jeune, un ado de 13 ans qui devenait star on en parlait comme d’un ado de 13 ans qui devient star. Aujourd’hui les stars ont entre 13 et 18 ans, that’s it, c’est la norme.
La tendance est inversée. On regarde tous, médusés, adoratifs, Billie Eillish et ses 18 étés monter sur scène pour rafler la quasi-totalité des Grammys face à un parterre d’anciens qui sourit jaune. On se dit devant le tapis rouge (qui est gris) des SAG Awards que Millie Bobbie Brown est une bombe, qu’elle a un sublime décolleté et un make-up au poil. Puis, c’est réaliser, plombée par la gène, qu’elle n’a surtout que 15 ans. À 15 ans ma folie à moi de wannabe adulte était de m’offrir un gloss chez Sephora, du mascara pour les cheveux et des boules de bain.
C’est écouter et vénérer une militante écolo de 17 ans venue de Suède pour nous mettre à tous un bon coup de pied au cul. C’est trouver que Justin Bieber a pris de la bouteille. C’est penser secrètement que plus tard je voudrais être Kendall Jenner et laisser la vie me rappeler que je lui mets presque dix piges dans la vue. C’est aduler des personnes qui mangeaient leurs crottes de nez quand je fumais des clopes en cachette. C’est constater avec peine que les enfants de 10 ans d’aujourd’hui sont les ados de 15 ans d’hier.
J’ai eu ma fille à 23 ans et je n’arrive plus à m’en enorgueillir. Aujourd’hui elle a 8 ans et je me sens dans la peau d’une mère qui n’a plus rien à lui apprendre, qui se retrouve sur le banc de touche, avec ses vannes de merde et ses expressions de vieille personne. Je ne comprends plus rien. Pourtant enfant du digital, travaillant dans la presse, étant active sur Instagram, quand je me retrouve à ses côtés, mon égo de jeune trentenaire parisienne et dynamique prend une balle dans le caisson. Je suis VIEILLE. C’est le jugement sans appel que je vois dans ses petits yeux qui brillent davantage aujourd’hui devant des Air Force 1 que devant la Reine des Neiges.
Elle a huit ans mais sait reproduire à la perfection des tutos Youtube vus avec sa sœur de 15 ans, elle apprend à mes parents comment aller dans les réglages de leur téléphone portable pour changer le fuseau horaire, elle me demande qui je follow sur Instagram, elle me supplie de pouvoir télécharger Tik Tok (application qui m’a définitivement fait rompre tout lien avec cette génération) et elle chante de sa voix pure, dans le plus grand des calmes, « J’suis pas ta catin Djadja, genre en Catchana baby tu dead ça ». Alors je m’énerve, je dis non, je m’insurge et elle saute sur l’occasion pour m’achever avec son air d’adulte de huit ans (blasé et hautain mais avec de la pâte à tartiner dans les commissures) d’un « maman, t’es vraiment pas cool ».
Notre sort est scellé et ne dépend définitivement pas de l’âge de la mère mais bien de celui de l’enfant. J’ai compris ça trop tard. Alors à celleux qui me disent, la voix éraillée par les vibrations de l’envie, « haan mais c’est super d’être une mère jeune ! », je leur réponds que ça ne changera rien pour moi et que pire, de fait, je serai vieille bien avant eux. Alors que merde, je suis cool.