La charge mentale

Je vous prie de bien vouloir pardonner ce retard de livraison, je ne bosse pas chez La Redoute mais j’ai eu quelques impondérables mercredi qui ont altéré mon inspiration. N’oubliez pas, quand même, que derrière cette auteure ivre de talent se cache un être humain.

La bonne nouvelle, c’est que je sais aujourd’hui sur quoi écrire. Je ne perds pas de vue toutes vos lumineuses idées et je promets de les mettre précieusement de côté (surtout les pantacourts, les radins et les gens qui puent de la gueule) mais pour le moment je vais un peu vous parler de : la charge mentale.

Plombeuse d’ambiance.

À vrai dire, c’est un terme que je n’aime pas particulièrement parce qu’il a été utilisé à toutes les sauces et étalé lourdement dans les magazines féminins. Un peu comme « pervers narcissique », cette pathologie psychiatrique bien réelle mais attribuée depuis quelques années à tous les mecs qui ont le feu à la bite, les indécis, les gros cons et les polygames. 

Pour autant, je dois bien admettre, que plus le temps passe, plus je m’aperçois que cette notion de charge mentale m’évoque vaguement quelque chose. 

Depuis des années, je fais tout de manière assez automatique, j’avance et je me retourne rarement. C’est ma façon à moi (et celles de beaucoup de gens sans doute) de ne pas tout remettre en question. Sans quoi je pense que j’aurais déjà quitté Paris, le stress et les studios au prix d’un manoir en Normandie pour aller à la campagne faire de la culture de piments d’Espelette. Ou du fromage de brebis. 

J’ai compris que je commençais un peu à saturer quand, hier, pendant l’anniversaire de ma fille, j’aurais donné n’importe quoi (même mes bottines Rossi et mon sac Vivier) pour que les enfants perdent l’usage de la parole. Vioup, plus de son. Que des petites bouches aux commissures souillées de chocolat qui se meuvent dans le plus grand des calmes. Mon rêve.

Mais non, Joséphine Ange Gardien est visiblement bien trop occupée à aider les jeunes violonistes et les apprentis cavaliers pour ne pas venir s’emmerder avec une trentenaire borderline et dix mouflets qui apprennent la céramique.

Et comme mon dévouement maternel s’apparente plus ou moins à du masochisme, j’ai considéré qu’il serait bien d’inviter à dormir les deux meilleures amies de Romy. Juste après l’anniversaire, sans transition. Ah oui, et seule aussi, j’oubliais. Parce que mon mec, en beau-père passionné mais malin qu’il est, a trouvé le moyen de s’esquiver juste ce week-end-là. Et comme si son absence ne méritait pas déjà une rupture (ou à minima un pull en cachemire au sèche-linge), il s’est amusé à m’envoyer des photos d’américaines en string et bas résilles (je précise qu’il était sur un tournage pour le travail) pendant que je coupais les parts de brownies et que je décollais les bonbons sucés sur la nappe. 

Je ne regrette rien, évidemment. Le bonheur de ma fille passe avant mes névroses mais je dois dire que tout ça demande une certaine énergie. Et une stabilité psychiatrique inébranlable. Parce qu’être gentille avec son enfant c’est facile, l’être avec les autres ça l’est moins. (Je sens que je vais lever le pied sur cette thématique de vannes, ça me ferait suer d’avoir un signalement aux services sociaux juste parce que j’ai voulu vous distraire). 

Les hommes ne se rendent pas compte de tout ce que nous faisons. C’est de là en fait que vient le problème. Et du fait aussi que nous, pour beaucoup, malgré nos convictions féministes et nos coups de gueule, on continue d’accepter d’en faire dix fois plus. C’est normal pour tout le monde, depuis la nuit des temps. 

Je me suis retrouvée à un diner il y a deux semaines, nous étions trois couples. Des gens biens, philanthropes, intelligents, féministes mêmes. Mais au moment de débarrasser, seules les filles se sont levées. Et nous avons regardé les hommes se mettre dans le canapé avec leur verre de vin et leurs discussions entamées à table pendant que nous étions en train de remplir le lave-vaisselle, disciplinées que nous sommes. Sur le moment cette soirée m’a parue tout à fait normale, aujourd’hui je me dis qu’il y a du boulot avant que nos réflexes ancestraux transmis de générations en générations (pas toi papa, je sais) soient réellement dissouts et que les choses changent fondamentalement. 

S’ajoutent à ces taches communes que tout le monde ou presque laisse naturellement aux femmes, les nombreuses autres.

Et mon statut de free lance n’a pas spécialement été mon meilleur allié pour gagner en soutien. J’en parlais déjà sur Maag et les free lance se sont reconnus, tu n’es aux yeux des autres qu’un chômeur branché. Ou un salarié en vacances. Un truc qui te permet de te taper toutes les tâches quotidiennes, en somme.

Préparer le petit déjeuner, aller à l’école, faire les lessives (une enfant et un sportif à la maison ça fait du linge), étendre les lessives, changer les draps, répondre aux mails, bosser, aller chez le gynéco, faire le ménage, prendre rdv chez le pédiatre, aller chez le pédiatre, voir ma psy (pour être une femme et une mère épanouie), retourner à l’école pour déposer les baskets de sport oubliées à la maison, voir les 78 notifications whatsapp du groupe de parents d’élèves mais ne pas les ouvrir, gérer l’administratif, penser aux vacances scolaires (qui tombent tous les quatre jours à peu près), aller faire ma couleur (big up Louis), aller chez le coiffeur (big up Etienne), aller au sport (parce qu’une femme active va au sport hein), voir ses amies, être une bonne mère, être une bonne femme, une bonne amante, une bonne tout court, trouver le temps de s’épiler (pour celles qui veulent, j’ai bien compris que c’était un sujet houleux), envoyer des vidéos de chiots à ma sœur, faire une to do list, discuter avec la gardienne, aller à mes rendez-vous de travail, promener le chien, appeler mes parents, noter le rendez-vous donné par la maitresse, prévoir une nounou, sortir boire des verres (pour garder une vie sociale alors que tu rêves de t’acheter un fauteuil Tecnovita et de passer ta vie dedans), déposer les colis Vinted au point relai, aller au pressing, récupérer ton enfant, l’emmener aux activités, penser à faire le sac de piscine, penser à défaire le sac de piscine, checker les lentes, faire le sac de judo, penser au goûter, répéter qu’il faut se laver les dents et faire pipi, signer le carnet de liaison, lire l’histoire, faire une attaque de guili, diner, lire (ou aller sur Instagram ou sur Netflix), gueuler parce que ton enfant se relève, commencer à te détendre et regarder ton mec qui te dit fièrement « t’as vu chérie j’ai vidé le lave-vaisselle et j’ai plié le linge aujourd’hui ? ». S’inscrire sur Tinder. 

Et on se retrouve à 21h un dimanche soir, pendant que les crêpes brûlent sur la poêle, à ne pas trouver de chute pour le papier que l’on publie déjà avec cinq jours de retard. 

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