Les anniversaires d’enfants

J’ai envie de demander pardon par avance à tous les gens raisonnables qui n’ont pas d’enfant(s) et qui vont, de fait, se sentir un peu exclus par ce papier.

Pour autant, c’est un sujet qui devrait parler aux autres. 

Je demande pardon aussi à tous ceux qui vont devoir faire face à ce déferlement d’aigreur, je sais, j’avais pourtant dit qu’en 2020 il y en aurait moins. 

Vous l’avez sans doute appris au détour d’un paragraphe dans mon billet sur l’éducation, ma fille a soufflé ses huit bougies le 7 janvier et, comme toute mère soucieuse du bonheur de son enfant, j’organise dans quinze jours quelque chose pour que Romy célèbre la vie entourée de ses amis, de quelques licornes gonflables et de suffisamment de sucre et de gras pour se boucher les artères juste en regardant le buffet. 

Et qu’on se le dise, c’est une plaie.  

Déjà, la première question qui se pose systématiquement c’est : OÙ ? 

Ah ben j’ai la réponse : n’importe où sur cette terre, un garage, une grotte, un bunker, une piscine municipale, un terrain vague, partout pourvu que ça ne soit pas chez moi.

J’ai eu la bonne idée de faire le test pour ses sept ans et il va sans dire que rien n’est plus douloureux pour une personne de mon acabit (maniacodépressive à la patience modeste) que de recevoir dix mioches déchainés dans son foyer. 

J’y avais pourtant mis tout mon cœur. J’avais attendu qu’elle aille à son cours de danse le matin pour envahir le salon de mille décorations inflammables achetées deux euros chez Hema. La guirlande prénom, les ballons, le 7 géant, les assiettes licornes, les serre-têtes licornes, les serviettes licornes, la nappe licornes. De quoi transformer la pièce en un antre rose et ringard prêt à accueillir les convives hurlantes et assoiffées d’Oasis.

Tout le reste de cette journée n’a été qu’enfer. 

La première demi-heure j’avoue avoir été agréablement surprise. Les amis de Romy évoluaient dans le plus grand calme, visitant l’appartement avec la timidité des débuts, prenant petit à petit possession de l’espace. Certains même avaient leurs chaussons, mignon.

Puis, après quelques poignées de Schtroumpfs à la gélatine et de bonbons qui piquent, ces petits êtres humains se transforment. Comme des souris en laboratoire à qui on aurait filé des pochons de speed. 

Et, dans un élan collégial, l’armée de gnomes se met soudain à sauter, à crier, à hurler, à pousser des cris, à gueuler, à beugler (vous seriez étonné de connaitre le nombre de synonymes de crier), à mettre ses doigts couverts de salive et de sucre sur les murs, ses cheveux pleins de poux sur les coussins du canapé et son pipi à côté de la cuvette. Je ne parle pas de ceux qui sont tellement pressés d’aller pourrir mon domicile qu’ils en oublient de tirer la chasse. Et le caca de l’enfant des autres ce n’est pas le caca de ton enfant.

De quoi m’inciter à me retirer dans la chambre parentale pour faire des exercices de respiration (application Bambou) afin d’éviter de me retrouver aux assises pour infanticide. 

Parce que, je n’ai pas honte d’en parler, il y a des enfants que je déteste. Je fais état ici d’un sentiment coupable très difficile à gérer en société, j’attends de vous que vous ne me jugiez pas.

Il y en a une, je ne peux pas. Tout son petit corps nourrit aux Haribo et aux Petits Louis provoque chez moi le plus total des rejets.

Sa voix comme un clairon, sa tête ronde, son sourire imbécile, ses cheveux longs jusqu’aux genoux, ses petites dents pointues, son parfum à la fraise, TOUT. Elle provoque chez moi une aversion que je ne comprends pas plus que je ne la contrôle. Mais, évidemment, je me sens vite infiniment coupable. Je prends alors conscience du monstre que je suis et je lutte contre lui pour essayer d’être une meilleure personne. Même si, deep down, je rêve secrètement d’aspirer de l’hélium dans un ballon licorne et de lui dire de ma voix nasillarde qui imite la sienne un bon vieux « et si tu fermais ta gueule ? » quand elle m’appelle dix fois de suite « hé la maman de Romy » pour me montrer son dessin. 

Dans ces cas-là, je m’imagine que quelqu’un ressent la même chose en regardant ma fille et ça me brise. Alors je vais voir cet être exécrable avec toute la sympathie qui m’habite et je la félicite pour son dessin. 

Vient ensuite l’heure du goûter. Cette parenthèse jubilatoire où, tous assis autour de la table le gosier rempli de marbré au chocolat noyé dans des litres de sodas, les enfants font régner un silence de cathédrale dans ce qui était quelques minutes plus tôt un haut lieu de torture sonore. La playlist en fond qui passe en boucle Lenny Kim, Matt Pokora et Aya Nakamura est à ce moment précis presque une caresse pour mes oreilles. 

Généralement après le goûter, je commence à voir la lumière au bout du tunnel. Plus qu’une heure avant que les parents débarquent pour récupérer leur progéniture venue tacher de graisse le blanc de mes murs et m’amputer du peu de fibre maternelle qu’il me reste. 

Ça fait aussi partie des moments qui sont pénibles dans un anniversaire ça, quand les parents arrivent. La bienséance veut que l’on offre un verre, évidemment il n’en a jamais été question pour moi. Le pire, c’est que tu reconnais rapidement ceux qui attendent de toi que tu ouvres une bouteille et que tu sortes les Tucs. Ils sont là, debout avec leur manteau sur le bras, entre l’entrée et le canap’, posant plein de questions sur la vie (ta vie) et oubliant volontairement qu’ils sont venus pour reprendre ce qui leur appartient. Quand c’est comme ça, je m’autorise quelques ruses du type « Léoooooo ? Ton papa est là et il est apparemment très très pressé alors dis au revoir à tout le monde et viens mettre tes chaussures ». Souvent le message passe plutôt bien. 

Quand vient mon tour et qu’on me propose gentiment de rester « discuter un peu » quand je récupère Romy à un anniversaire, je joue le jeu. Non sans mal, mais je joue le jeu. Je reste, souriante, pour boire un peu de cidre chaud dans un gobelet et faire un point sur l’éducation nationale avant de rentrer et de passer trois heures à retirer le maquillage papillon qui a séché dans le duvet sur les joues de ma fille. 

Ça aussi, j’aimerais qu’on en parle. Les invitations aux anniversaires. 

Est-ce que je suis la seule à n’en plus pouvoir que chaque samedi il y ait un anniversaire ? 

Est-ce que je suis la seule à me demander si je vais pouvoir payer le loyer à la fin du mois parce que j’ai claqué mon épargne dans des « Mortelle Adèle » et des figurines Marvel ?

Est-ce que je suis la seule à vouloir être tranquille un samedi après-midi sans avoir à déposer puis récupérer mon enfant dans un intervalle de deux heures ? 

Oui, car j’ai remarqué que nous ne sommes pas tous égaux face au temps. De mon côté, j’estime qu’un anniversaire doit à minima durer trois heures (même si je ne suis pas contre l’idée que ça ne dure que 20 minutes, en soi). Mais, s’il y a bien deux choses que je retiens c’est qu’un anniversaire ça sert à faire plaisir aux enfants et ça laisse aux parents des invités l’occasion de se balader (ou autre) pendant ce laps de temps.

Donc, à vous, les parents qui précisent sur les invitations « de 15h à 16h30 », j’ai envie de dire que nous ne sommes pas vos voisins de palier et qu’en vrai ça fait chier de trainer une heure dans le quartier. C’est le meilleur moyen de nous pousser à punir nos enfants de venir à l’anniversaire du votre, sans raison vraiment valable. De là naissent les injustices. 

J’ai cherché une fin douce pour clore ce papier, quelque chose de joli, de tendre. Et puis, d’un coup, faisant le tri des idées qui me sont venues en écrivant ces lignes, j’ai pensé à ces parents parfaits qui font des anniversaires parfaits. Et j’avais à nouveau envie de tout niquer. Pardon. 

Ces parents qui font tout mieux. 

Ceux qui invitent toute la classe « parce que ça évite les exclusions sociales » quand toi tu vends à ta fille que moins on est, plus on rit.

Ceux qui prévoient un sac de déguisements, un magicien et des activités manuelles pour chaque enfant quand toi tu avais juste ton mec pour les faire jouer à la chaise musicale.

Ceux qui ont préalablement fait des sachets de bonbons fermés par un ruban à l’effigie de l’enfant célébré. 

Ceux qui ont meilleure mine après l’anniversaire qu’avant et parlent comme s’ils avaient autant profité que les enfants « c’était formidable, on s’est amusés comme des fous, hein Gaspard ? ».

Ceux qui te félicitent d’avoir une fille bienveillante et polie quand la seule chose que toi tu dis aux parents c’est « ne vous étonnez pas s’il vomit ce soir » ou « faites attention quand même il se gratte beaucoup la tête ».

Ceux qui te disent « ça finit à 18h mais si ça vous arrange de passer après le diner nous on reste là de toute façon » alors qu’ils savent très bien que même si tu en rêves tu n’oseras jamais. 

Bref, tous ceux à cause de qui je n’ai pas trouvé de façon touchante de boucler ce texte. Même pas de phrase sur le temps qui passe, blablabla, et le fait qu’un jour ces anniversaires me manqueront sans doute. Parce que ça serait mentir. Désolée. 

Cette année j’ai choisi de le faire dans un atelier de peinture sur céramique. Si tout se passe bien, j’aurais surement des choses à vous raconter. 

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