Je suis freelance

Je suis entrée dans un grand magazine féminin que je ne citerai pas, le ELLE, pour faire mon stage de fin d’études. C’était en 2014 et j’ai rejoint la rédaction digitale pour ne plus en partir. Jusqu’en mars dernier. La meilleure école sans doute pour apprendre toutes les techniques journalistiques liées à la presse féminine, rencontrer de brillantes personnes (pas toutes) et afficher fièrement sur un CV qu’on a travaillé pour un média légendaire. Celui lu de génération en génération chez nos grand-mères, mères et gynécologues. 

Mais, comme dans toute belle histoire, il arrive un moment où la magie se meurt. Où le carrosse redevient citrouille, où le soleil laisse place à la pluie. Une farandole de métaphores pour dire que concrètement, la dernière année, je me faisais bien chier. Pour être épanouie dans un job il faut à minima admirer sa hiérarchie et/ou aimer ce que l’on crée. Sinon, faut quitter le nid. J’ai quitté le nid. (Haaan t’as vu comment elle crache dans la soupe !?!)

Une vie différente en tous points et qui, même si je ne regrette rien, réserve son petit lot de surprises. Quitter son travail pour se lancer en freelance, il faut le savoir, c’est faire face à plusieurs obstacles à l’ouverture de ses chacras. 

Déjà freelance, pour beaucoup, c’est un synonyme de vacances. Et ça tu ne t’en aperçois que quand tu rejoins la grande famille des gens qui ont décidé de se mettre à leur compte. Tu as toutes ces personnes qui te disent « et alors, ça en est où ? Tu as trouvé un poste ? ». Bah non car tu sais je suis freelance maintenant. «mm ouais je sais, mais c’est en attendant non ? ». MAIS EN ATTENDANT QUOIIIII ?!!?? JE-SUIS-EN-FREELANCE. Dans la même catégorie d’individus nuisibles à ton épanouissement il y a ceux qui te chambrent à la moindre occasion, sur ton emploi du temps de préférence. « Tu passes demain à l’event machin-chose-mes-c***** ? », non désolée je pense que je n’aurai pas le temps. « Pas le temps ? Lol !! Zarma t’as des journées chargées toi maintenant ». Oh bah tu sais c’est un peu chronophage d’aller faire du repérage en Ile de France pour savoir dans quel terrain vague je vais enterrer ton corps. Le périph tout ça. En vrai, comment est-ce possible qu’en 2019 on puisse encore tomber sur des personnes capables, sans être microcéphales, de ne pas comprendre que freelance c’est presque le boulot qui te demande le plus d’énergie ? C’est aussi excitant qu’angoissant car ça pue l’instabilité. Et la stabilité ça rassure en vrai. Tu ne sais pas si tu vas gagner autant que le mois d’avant, plus que le mois d’après, si tu vas pouvoir payer ta mutuelle, ton loyer et des slips à ton gosse. Tu ne sais pas si on va penser à toi, si quelqu’un de meilleur ne va pas venir te casser la cabane, si ce que tu fais sera encore cool dans deux mois… Tu avances et tu te dépasses en espérant pouvoir tenir la cadence et débaucher un jour, pour t’épauler, celle qui pensait que tu écoutais Difool sur Skyrock pendant qu’elle allait au bureau.

Je suis micro-entrepreneuse. Un statut avantageux inventé par l’état pour que les jeunes se lancent sans trop de pression. Un truc formidable. Et dans mon cas précis, ce qui est encore plus formidable, c’est que j’ai le droit au chômage pendant deux ans. Le filet de protection qui m’évite d’avoir à me poser trop de questions, en tout cas d’un point de vue financier. Parce que Pôle Emploi c’est quand même une aventure hein. 

Quand tu mets un pied chez Pôle Emploi tu as instantanément le sentiment d’être une espèce à part, un être désociabilisé à qui on parle comme à un enfant qui aurait passé son enfance avec les loups. D’un coup, ta vie bascule. Tu étais au téléphone avec ta mère à discuter de ton envie d’acheter une yaourtière (oui j’ai acheté une yaourtière) et, à peine passé le seuil de Pôle Emploi, tu es un Indien dans la Ville. On te parle comme si, d’office, il était évident que tu ne bittais rien à rien. « Il faut que vous preniez un ticket là, que vous alliez vous assoir là, que vous rentriez votre nom là, que vous allumiez l’ordinateur là, que vous scanniez ce doc là, que vous remplissez ce papier là, que vous…. » HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA. 

Mais en vrai, ils ont raison, tu ne piges rien. Tout est chiant et compliqué chez Pôle Emploi, c’est fait exprès pour que les gens qui seraient susceptibles d’en abuser se découragent. Même ton entretien avec ton conseiller rend fou. Déjà, ils sont capables de t’appeler tous les mois pour te voir et te dire EXACTEMENT la même chose que la fois d’avant. Et TOUT ce que tu dis lors de ton entretien est retranscrit sur le compte rendu qui t’est envoyé. « Alors, Laura dit qu’elle va appeler le service des indemnisations. Laura va regarder la liste des services que nous proposons. Laura va mettre à jour son CV sur l’application. Laura ne veut pas être assistante de direction, Laura va créer un compte Urssaf pour sa micro-entreprise. Laura va… » Laura va te moudre les doigts si tu ne cesses pas de tapoter tout ce que je dis sur ton clavier. Merci. J’en suis presque arrivée au stade où j’ai hâte que mes deux ans de droits soient écoulés pour en finir avec ce que j’appelais encore l’ANPE avant qu’on me regarde comme si j’étais un fossile. Mon mec dit Prisunic quand on va chez Monoprix. Je balance.

Au fond de moi, une petite voix me supplie de rester freelance à vie. Pour tous les avantages énumérés plus haut. Mais la sécurité du salariat peut aussi avoir ses côtés attractifs. Sauf que qui dit salariat dit poste fixe dit entreprise dit patron dit entretien d’embauche. Ouais bah non. Plus jamais. Je crois que je préfère vivre six mois de ma vie à Fleury-Mérogis que passer un entretien d’embauche d’une heure dans une grosse boite. Comment peut-on prétendre vouloir donner envie aux gens de travailler alors que la première étape (pour ne pas dire épreuve) est une torture. « C’est pour tester la résistance », la résistance ? Mais quelle résistance ? Je vais écrire des articles sur le tailleur de Brigitte Macron, je ne vais pas négocier avec des terroristes. Là encore je généralise mais, quand même, très souvent les patrons se basent sur des règles de management plus vieilles que les chapeaux de Geneviève de Fontenay (j’ai failli dire Geneviève au départ mais je ne veux pas d’ennuis, je rêve secrètement d’être Miss Nationale).

Un jour, un mec a pondu une grille de questions et depuis tout le monde la reprend. Et toi, jeune chercheur d’emploi, tu as beau connaitre plus ou moins tous leurs coups en avance, tu te fais bouffer par le stress. « Pouvez-vous me dire trois qualités et trois défauts ? ». Alors pour mes défauts, déjà je suis une grosse dormeuse hein, impossible de me lever le matin, je suis toujours à la bourre à mes rendez-vous. Ensuite, je pense que je suis trop colérique. Tout le monde m’exaspère, je peux balancer mon ordi à travers la gueule de quelqu’un s’il me chauffe. Et puis enfin, j’ai un gros problème avec l’autorité, ça me bloque. Couic bloquée ! Héhé !

Franchement, ils ne sont pas soulés à force t’entendre toujours les mêmes conneries de « je suis rigoureux, c’est une qualité mais ça peut aussi être un défaut. Je suis exigeant également, trop surement. Enfin, je dirais que je suis perfectionniste, je veux que tout soit parfait, tout le temps. » Bon ben vous êtes le candidat parfait, allez hop on vous embauche. 

Tout est oppressant dans un entretien d’embauche, du début à la fin. Quand tu arrives tu ne sais jamais ce qu’il faut faire ou pas. Bonjour monsieur, madame, on se serre la main, on ne se touche pas, je m’assoie ou je reste debout, je suis naturelle mais pas dévergondée, à ma place mais pas coincée, docile mais charismatique, drôle mais pas lourde, cool mais pro… C’est finalement le moment le moins révélateur pour un patron (je dis un patron pas une patronne parce que dans mon histoire c’est un con. Oh ça vaaaaaaa). Moi typiquement je pense que je suis la pire personne à recevoir en entretien. Je bégaie, je bave, je naticulepuyien (petite pirouette littéraire attention), je sue de la moustache, je ne sais pas quoi faire de mes mains, ni de mes jambes d’ailleurs, je fais des bides monstrueux en voulant être drôle, je réponds toujours un truc à la con à leur question à la con « euh une qualité ? euh je ne sais pas euh je suis gentille. Ah et je sens bon aussi ». 

Et alors, le pompon c’est quand même quand vient le moment où le gars met sur la table ses semaines de stages chez Wall Street Institute « Bon, on passe à l’entretien en anglais. Tell us about yourself ». 

My name is Laura, i’m 31 years old and i finish my post like that because i don’t have a chute. 

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